Mésalliances, chapitre 1


























        Automne 1175

           La matinée de Tescelin De Brisay, jeune Comte de Castelmirail avait été quelque peu agitée, mais comme à son habitude, il avait réussi à tout arranger.
Des brigands éméchés rapinaient dans les étals du marché et terrorisaient les femmes par leurs cris. Un habitant de la ville vint alors quérir le Comte et ses hommes. Ces derniers allèrent prestement sur les lieux, appréhendèrent les larcineurs et les enfermèrent au cachot.

Il se rendit aussi dans la campagne afin de s’enquérir des demandes des habitants et leur apporter son aide car des paysans avaient été pillés dans la nuit. Le seigneur de Castelmirail leur offrit quelques écus et des vivres afin de compenser leurs pertes. Il ordonna à ses hommes de fouiller les environs pour retrouver les voleurs et les arrêter.



Le jeune homme était aimé et respecté de ses sujets, il se devait d’honorer la devise de sa famille :
                                                 « Chevalerie, justice, sagesse »
Telle était la devise  de son arrière-grand-père, Foulques De Brisay, le premier Comte de Castelmirail qui se vit offrir cette seigneurie en 1085 par Raymond De Saint Gilles, Duc de Narbonne pour acte de bravoure.


Tescelin lisait tranquillement quand des éclats d’une voix stridente et désagréable qu’il ne connaissait que trop bien lui percèrent les tympans. Il se leva de sa table et alla voir ce qu’il se passait.

Dans la salle de festin son épouse Hodierne terrorisait une jeune servante.
« Que se passe-t-il donc ici ? Vos hurlements retentissent dans tout le château.
- Cette gueuse de servante n’est qu’une incapable, il y a de la poussière sur la cheminée, elle a laissé des miettes sur le sol, elle chantonnait en travaillant.
Le Comte autorisa la servante à s’en aller.










Tescelin haussa les épaules et adressa un regard désapprobateur à son épouse.
- Je ne vois ni poussière ni miettes et pourquoi ne chantonnerait-elle pas en travaillant, cela n’a rien de dérangeant.
Hodierne le regarda, sa bouche avait ces plis amers qui trahissaient sa colère et son mépris, son visage  affichait quotidiennement cette haine.
-Vous n’êtes pas sans savoir que je déteste le bruit, cela me donne mal à la tête! Hurla-t-elle.
- Existe-t-il seulement une chose que vous ne haïssiez pas! Rien ne vous plait, ni les fêtes, ni la musique, ni la poésie, vous n’appréciez guère les promenades dans la ville ou la campagne, cingla le jeune homme exaspéré.
- Ceci est beaucoup trop bruyant pour mes délicates oreilles, de plus ces baladins et poètes n’ont aucun talent, il n’y a que les imbéciles qui peuvent apprécier de tels spectacles. Quant aux promenades, elles me sont insupportables, il est hors de question que je me mêle au petit peuple, ces êtres inférieurs.

- Qui donc croyez-vous être? Vous prenez tout le monde de haut! S’énerva Tescelin.
- Je me prends pour une femme de la noblesse. Votre gentillesse avec ces gueux qui sont à notre service m’exaspère.
- Je suis juste avec eux, ils ne méritent pas d’être traités de la sorte, nous ne sommes pas supérieurs à ces gens et il est de notre devoir de nobles de les protéger, répliqua-t-il sèchement.
- C’est là votre opinion, ce n’est en aucun cas la mienne, je mets ce manque de discernement  sur le compte de votre jeunesse, » conclut-elle.
Elle quitta la pièce en marmonnant des paroles inintelligibles.


Le jeune homme ne s’était jamais entendu avec son épouse. Ce mariage fut arrangé par leurs pères.
Il savait que la plupart des unions n’étaient pas fondées sur l’amour, mais il aurait toutefois espéré un minimum de respect et d’amitié de la part de son épouse. Au lieu de cela Hodierne le rabaissait tout le temps, tout était l’occasion pour elle de le critiquer et de tenter de le faire passer pour un idiot. « Vous n’êtes qu’un coquebert* » ne cessait-elle de lui asséner.






Il ne se passait pas un jour sans que la désagréable voix de crécelle d’Hodierne ne se fît entendre, il lui fallait toujours trouver quelqu’un à critiquer sans raison valable. Seuls les moments où elle médisait avec ses amies à la langue aussi fielleuse qu’elle lui faisaient quitter sa méchante humeur. 

Elle se refusait également à accomplir le devoir conjugal qu’elle considérait comme une pratique bestiale et vulgaire qui la dégoûtait. Lors de la nuit de noce elle évoqua une grande fatigue. Ce n’est qu’après cinq mois de mariage qu’elle accepta d’honorer son époux. Ce fut bref, le jeune Comte n’éprouva aucun plaisir, son épouse ne cessait de hurler et de l’insulter. Ce fut la seule fois où il la toucha, elle se refusa ensuite à lui, elle ne voulait pas prendre le risque de concevoir un héritier, Hodierne éprouvait une très profonde aversion envers les enfants.




A  la fin de l’année 1175 après huit mois d’un mariage malheureux, le Comte de Castelmirail prit la décision de faire annuler ce mariage pour refus d’accomplir le devoir conjugal. Après moult protestations de la part d’Hodierne, celle-ci finit par accepter et repartit dans sa famille. Tescelin était enfin libéré de cette horrible union, il espérait trouver une épouse qu’il aimerait. Cette fois personne ne pourrait l’obliger à s’unir à une femme qui ne lui convenait pas.