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Mésalliances, chapitre 2
Le lendemain de la naissance d'Emma, des habitants de la
seigneurie se rassemblèrent sur la place de la ville. Le crieur public leur
annonça la nouvelle.
« Oyez Oyez, hier soir la Comtesse a donné naissance à
l'héritière de la seigneurie, Emma De Brisay de Castelmirail, souhaitons une
longue et heureuse vie au nouveau-né. »
Les Castelmirois se regardèrent, la plupart étaient heureux pour le couple qui espérait ce moment depuis si longtemps, d'autres en revanche étaient plus
réservés voire déçus.
« Toute cette attente pour une fille, c'est bien un grand malheur pour eux et pour la seigneurie! Pour faire passer cette mauvaise nouvelle, je retourne à la taverne pour boire! S’écria un habitant.
« Toute cette attente pour une fille, c'est bien un grand malheur pour eux et pour la seigneurie! Pour faire passer cette mauvaise nouvelle, je retourne à la taverne pour boire! S’écria un habitant.
Sa femme lui adressa un regard furibond.
- Toi! Tu n'iras pas à cette maudite taverne, tu es
déjà tellement soûl que tu racontes n'importe quoi et il y a l'étable à
nettoyer et du bois à couper.
- Mais …
- Il n’y a pas de mais… Tu files à la maison, sinon ce soir
tu ne partageras pas mon lit. »
Penaud et ne voulant pas se
priver du plaisir de besogner son épouse, l’homme s’exécuta.
Dans une luxueuse auberge, plusieurs riches clients discutaient
de la naissance d’Emma.
« La Comtesse est peut-être la mère de cette enfant,
mais le Comte en est-il le père ? Rien est moins sûr.
- Vous avez raison ma chère, d’ailleurs ne vous semble-t-il
pas étrange soit si soudainement tombée enceinte après autant d’années de
mariage ?
- Bien entendu que
c’est bizarre et j’ai ouï dire qu’elle avait un amant qu’elle retrouvait à
l’auberge "le leu borgne" ou chez lui. Madame De
Lespérance m’a rapporté l’avoir vue entrer chez Monsieur Latourelle, elle m’a également
confié les avoir vu nus en train de commettre le péché de chair dans une écurie
de l’auberge."
Personne n’avait prêté attention à cette servante qui les
observait depuis tout à l’heure. L’une des femmes nobles regarda alors dans la
direction de la domestique.
"Vous pouvez nous expliquer ce que vous faites à nous
observer au lieu de travailler ?
La servante balaya la salle du regard et fixa les nobles
avec colère.
- J’ai écouté tout ce que vous avez dit sur la Dame de
Castelmirail, ce ne sont que des sornettes, la Comtesse est une personne qui a
des principes, jamais elle n’aurait agi ainsi ! S’écria-t-elle.
- Comment-osez-vous nous parlez ainsi? Vous n’êtes qu’une stupide servante!" Se fâcha
une femme vêtue d’une robe verte.
Une femme noble d’une cinquantaine d’années était restée
silencieuse, l’une des autres lui adressa la parole.
" Madame la Marquise de Puydoré, on ne vous a pas entendue à
ce sujet, quel est donc votre avis ?
La femme vêtue de bleu se leva et s’adressa aux personnes
présentes dans la pièce.
- Comment osez-vous dire de pareilles choses? Ce ne sont là que des rumeurs lancées par des
femmes de la noblesse jalouses de
n’avoir été jadis choisies par le Comte qui a préféré épouser cette jeune
roturière dont il était amoureux.
- Ma chère Marquise, ne trouvez-vous point étrange qu’il ait
fallu attendre autant d’années de mariage à la Comtesse avant de tomber
enceinte?
La Marquise haussa les épaules.
- Non, il y a certainement d’autres femmes dans son cas.
- Mais le Comte n’a pas eu
d’enfant lors de son premier mariage, donc cela tend à prouver qu’il n’est pas
le père de cette enfant, d’ailleurs Madame de Lespérance a vu le Comtesse avec
son amant.
- Il n’est guère étonnant que le seigneur de Castelmirail
n’ait point eu d’héritier avec sa première épouse puisqu’elle refusait d’accomplir
l’acte conjugal. Quant à cette Madame de Lespérance, vous savez très bien qu’elle
raconte n’importe quoi, qu’elle boit de trop et qu’elle n’a pas toute sa tête.
Comment la Comtesse pourrait-elle être l’amante d’un immonde pourceau tel que
ce Monsieur Latourelle ? Cela n’a
point de sens. Cette petite est la fille du Comte, que cela vous plaise ou
non! Vous prêtez foi à ces viles rumeurs car vous êtes jalouses
de l’amour que le Comte porte à son épouse. Je ne resterai pas plus longtemps à vous écouter proférer de telles
ignominies. »
La Marquise quitta la pièce, laissant sans voix les autres
nobles.
Au château
La naissance d’Emma avait comblé le couple joie. L’enfant
qu’ils avaient si longtemps désiré était enfin là. Ils n’avaient jamais pensé qu’il était possible d’être aussi
heureux.
Les parents passaient beaucoup de temps avec leur fille,
chacun de ses sourires, de ses regards les comblaient de bonheur.
Eléonore venait de s’endormir, le Comte lui embrassa front
et caressa la joue de sa fille.
Il sortit dans la cour. Il était si heureux avec Eléonore, cette femme qu’il avait
aimé dès que son regard s’était posé sur elle dans cette boutique de Sarlat.
Leur fille Emma était un cadeau de l’amour. Avoir ces deux personnes dans sa
vie était une félicité.
Soudain il frissonna, ce n’était pas le froid, mais un
mauvais pressentiment qui l’envahit, le sentiment que quelque chose de terrible
allait arriver. Tescelin secoua la tête
tentant de chasser cette idée de son esprit.
« Non non, il ne nous arrivera rien de mal pensa-t-il.
Je ne devrais pas avoir de telles idées. »
Il essaya de la balayer mais n’y parvint pas,
quelque chose en lui l’en empêcha.
Quelques mois plus tard alors que le printemps touchait à sa
fin, Tescelin reçut une lettre. Il commença à la lire et blêmit, sa respiration
et son pouls s’accélèrent. Comment cet homme dont il n’avait jamais entendu
parler auparavant pouvait-il avoir eu vent de cette affaire qui s’était
produite il y a vingt-cinq ans ?
Personne le Comte mis
à part n’était au courant de cela. Durant toutes ces années, il avait réussi à
tenir secrète cette affaire. Le seigneur
de Castelmirail se sentit défaillir, si ce secret venait à être révélé sur la
place publique, il serait disgracié et perdrait ses terres. Il pourrait même
être exécuté sur le bûcher. À cet
instant il eut l’impression de sentir la brûlure des flammes sur sa peau et les
lourdes et désagréables odeurs de chairs calcinées lui envahir les narines.
Il se laissa glisser au sol tentant de maîtriser son rythme
cardiaque et sa respiration, en vain.
La crainte l’envahissait de plus en plus, s’il acceptait de
payer pour cet acte qu’il avait commis, il ne voulait pas que sa famille en
subisse les conséquences. Eléonore et Emma seraient chassées de Castelmirail et
probablement vendues comme esclaves dans de lointaines contrées. Il ne
supporterait pas qu’elles souffrent par sa faute. Cette idée lui était
intolérable.
Il resta ainsi un long moment, terrifié à l’idée de ce qu’il
pourrait arriver. Soudain il entendit des pas légers se diriger vers la porte,
il les reconnut aussitôt, c’étaient ceux d’Eléonore. Il tenta de reprendre sa
contenance. La Comtesse entra dans la chambre et vit que son mari semblait
troublé. Elle mit Emma dans le berceau et observa attentivement son mari.
« Que vous arrive-t-il ? Vous ne me semblez pas
en forme. Interrogea-t-elle, inquiète.
- Je vous assure tout va bien.
- Mais vous êtes très pâle et essoufflé, peut-être
devrais-je faire quérir un médecin ?
- Je me suis entraîné au maniement d’armes avec de jeunes
hommes. Cela a été éprouvant, je ne suis plus très jeune et ces garçons sont
très vifs, ce qui est très bien, nous avons besoin de jeunes et vaillants
chevaliers.
La jeune femme prit les mains de son époux dans les siennes.
- Vous n’êtes pas raisonnable ! Vous devriez vous ménager ! Notre maître
d’armes peut se charger seul d’entraîner ces aspirants chevaliers ! Je ne veux point vous perdre. Le
gronda-t-elle.
- Vous avez raison, je vais me reposer et j’aimerais que
vous restiez près de moi car je vous
désire, les meilleurs moments dans ma vie sont tous ceux que je partage avec
vous et notre magnifique fille. Je voudrais que cela dure toujours. »
Ils se donnèrent l’un à l’autre avec passion, leur amour
était aussi fort qu’au premier jour et tous deux savaient que rien ne pourrait
le détruire. Bien entendu un jour la mort les séparerait, mais cela ne
briserait en rien ce si puissant amour qui les unissait. Ils leurs restaient
encore de très nombreuses années ensemble, enfin peut-être car parfois le
destin peut prendre un cruel tournant.
Trois ans s’écoulèrent, Tescelin ne reçut aucune autre
lettre de menace et espérait que son secret tombe dans l’oubli, mais
pouvait-t-il en être ainsi ? Ce
terrible secret ne risquait-il pas de ressurgir un jour ? Certains évènements du passé, même ceux
paraissant les plus anodins ne pouvaient-ils pas les mettre en danger ?
Nul ne savait ce que l’avenir
leur réservait.
Emma était désormais une petite fille très éveillée qui
s’intéressait à tout, particulièrement aux livres. Elle adorait quand sa mère
lui faisait la lecture.
Le Comte songeait déjà à l’avenir de sa fille, il souhaitait
qu’elle fasse un bon mariage. Il en discuta avec son épouse.
« J’aimerais qu’Emma fasse d’heureuses épousailles.
- Je le souhaite aussi, mais n’est-il pas un peu tôt pour
songer à cela, notre fille n’a que trois ans.
- Je le sais, mais je pense que nous pourrions commencer à
lui choisir des prétendants.
La Comtesse regarda son mari avec étonnement.
- J’avoue ne pas vous
comprendre, nous avons tous les deux subi un premier mariage arrangé et cela ne
s’est pas bien passé.
- Ne vous inquiétez pas, il ne
s’agit pas de cela, notre fille pourrait se lier d’amitié avec des garçons de
familles nobles et bourgeoises et d’ici
une quinzaine d’années elle pourrait
choisir l’un d’entre eux seulement si
elle le désire. Nous, nos pères nous ont imposés des personnes que
nous ne connaissions pas et nous n’avons eu de choix que de les épouser après
quelques jours, sans les connaître. J’ai convié le Duc de Puytargues à un
festin, sans bien entendu lui en révéler les vraies raisons. Son fils
de cinq ans pourrait être un bon parti pour Emma .
- Je ne suis pas certaine que cela
soit une bonne idée, le Duc risque d’être fort courroucé quand il saura
pourquoi vous avez organisé cette fête. » Conclut Eléonore.
Quelques semaines plus tard, un
grand homme blond aux yeux bleus, âgé
d’une cinquantaine d’années, richement vestoyé* se présenta au château, il
s’agissait de Baudri De Longpré De Granbois, le Duc de Puytargues.
Tescelin fut étonné de voir que ce
dernier était venu seul.
« Votre épouse et votre fils
ne vous accompagnent point ?
- Mon fils a pris froid et est
souffrant, il ne pouvait pas faire le voyage, ma femme a préféré rester près de
lui. »
Le festin se déroula sans encombre,
à l’issue de celui-ci le Comte demanda à discuter en privé avec le Duc, lui et son épouse voulaient lui faire part de
quelque chose de très important.
Ils allèrent dans une pièce
où personne ne les interromprait.
« De quoi voulez-vous me
parler de si important ? Questionna
Baudri
- J’aimerais que nos enfants
apprennent à se connaître.
Suspicieux, le Duc fronça les
sourcils.
- Et pourquoi le
devraient-ils ?
- J’envisageais l’éventualité d’un
mariage entre votre fils et ma fille d’ici une douzaine d’années.
Baudri se releva brutalement,
faisant basculer sa chaise et fusillant Tescelin du regard.
- Ah nous y voilà ! Vous
m’avez invité pour arranger une union entre mon fils et votre fille !
- Non, enfin pas vraiment, mais il
est évident que je serais ravi que nos enfants s’unissent.
- Comment pouvez-vous pensez que
j’accepterai cela ? Jamais mon fils n’épousera votre fille ! Ce serait une mésalliance ! S’offusqua le Duc.
- Pourquoi serait-ce une mésalliance ? interrogea le Comte.
- Mon fils se mariera avec une
jeune fille de la noblesse.
- Mais ma fille est noble !
- Vous oubliez que votre femme ne
l’est point !
- Elle l’est devenue en m’épousant
et sa noblesse de cœur est bien plus importante que celle conférée par le
titre.
- Soit ! C’est là votre
opinion, mais sachez que je ne la partage aucunement. Mon fils lorsqu’il en aura l’âge se devra de prendre
une épouse de son rang et votre fille ne l’est pas puisque votre femme n’est pas
noble de naissance et même si elle l’était, cette union ne pourrait se faire.
- Pour quelle raison ? Demanda Tescelin d’un ton calme.
- Vous n’êtes que de petite
noblesse et vous n’avez que très peu de vassaux. Ma famille fait partie de la
haute noblesse depuis des siècles et nous avons grand nombre de vassaux qui eux
même en ont. La future épouse de mon fils sera une Duchesse ou une Marquise à
la rigueur. Sur ce je m’en vais, je ne resterai pas un instant de plus chez
quelqu’un qui m’a fait un tel affront.
- De quel affront
parlez-vous ?
- Vous avez l’outrecuidance de me
poser cette question ! Vous avez osé m’inviter à ce festin pour tenter
d’arranger un mariage entre mon fils et votre fille ! Je ne tolère pas de
tels agissements ! Tonna le
Duc hors de lui.
- Mais monsieur .. »
Baudri s’en alla avant que le Comte
ne finisse sa phrase.
Un peu plus tard, Tescelin et Eléonore
se retrouvèrent seuls.
« Je ne comprends pas
pourquoi le Duc a réagis de la sorte, je n’ai guère apprécié ses propos à votre
égard. Comment a-t-il pu vous insulter ainsi ?
- Je ne me suis pas sentie
offensée, il n’a dit que la vérité, je ne suis pas noble de naissance et nous n’avons guère de
possessions. Je vous avais prévenu que ce n’était pas une bonne idée.
Il prit son épouse dans ses bras.
- J’aurais mieux fait de vous
écouter au lieu de nous ridiculiser ainsi. Si cette affaire s’ébruite notre
fille ne trouvera pas de décent époux.
- Ne craignez rien, elle ne se
mariera pas avant d’avoir quinze ans, d’ici là plus personne ne se souviendra
de cette histoire. »
Ce soir-là, dans un sinistre
château à plusieurs centaines de kilomètres de Castelmirail, des hommes
discutaient.
« La fille du Comte de
Castelmirail sera à moi, son père ne peut pas me refuser ça.
- Ha ha ha Si il n’accepte pas ce petit marché, il lui
en cuira, reprit un autre homme.
- Elle pourrait nous servir dans
nos plans, la Césarie commence à se faire vieille, dans dix ans elle ne nous servira plus à
rien, les hommes ne voudront plus d’elle. La
petite de Castelmirail sera alors un joli tendron. Ajouta un troisième homme.
- En voilà d’une brillante idée,
mais surtout sa famille possède quelque chose que je veux avoir. » Conclut
le premier homme avant d’éclater de rire. Un sinistre rire à glacer le sang, un danger menaçait la famille de Brisay. Ces
hommes étaient tels des loups affamés cachés dans la sombre nuit, prêts à
bondir sur leur proie.
À suivre
*vestoyé: vêtu
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